[Concours]La fin de l'histoire.

Démarré par Gabriel10, 22 Janvier 2011 à 22:33

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C'est avec encore quelques minutes à écouler et plus beaucoup d'énergie que je rends ce texte. Faut croire que les concours me poussent à prendre des risques côté écriture et, après tout, c'est peut-être tant mieux. Le texte, comme tel, sera pour certains un vrai n'importe quoi. Mais, pour le bénifice de celui qui chercherais à trouver ce que cette histoire veut dire, j'inclus ici un résumé sommaire d'un évènement sommaire qui a touché tout le québec.

Le 11 août 1997, Jean-Claude Lauzon, grand réalisateur émérite et personnage complexe meurt avec sa femme dans un tragique accident d'avion. Le drame est d'autant plus grand que le cinéaste avait, quelque part dans sa tête, le plan de son prochain long métrage, un projet qu'il préparait depuis un bon moment. On perd ainsi un grand homme et ce qui aurait pu être un grand film. Cet accident aura donc fait trois victimes au lieu de deux.

Alors bonne lecture.




Depuis combien de temps?

...Aucune idée. Où?

Pas plus avancé.

Ce que je fais?

Ça je  sais : je suis désespérément perdu et j'essaie de me retrouver dans une mer de blanc surplombé d'un vert tranchant. J'ai une migraine et j'ai mal à me rappeler. Qu'est-ce qu'il me racontait déjà? Ah ouais! Une histoire.

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Depuis quinze minutes qu'il me déblatère une histoire qui n'en fini plus de commencer. Jean essaie de mettre de l'ordre dans ses pensées et de me construire un récit ordonné, mais il ne réussi qu'à se confondre encore plus et à ne me sortir qu'une ombre de structure et de cohérence. Son récit n'a pas de début et je serais porté à croire qu'il n'a pas de fin non plus. Il persévère tout de même et ça me fait plaisir. Après tout, c'est moi qui lui tombe dessus depuis au moins deux mois pour qu'il prenne le temps de me parler de son prochain projet. Aussi embryonnaire soit-il, je reconnais que le synopsis qu'il me conte là est plutôt bien fournie. Il prend une pause, à bout de souffle et moi je remercie le ciel de cette interruption. Ma tête me démange.

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On dirait que le vent se fait une obligation de balancer de la grêle sur mon visage. Une chance que j'ai de quoi moi protéger du froids parce que sinon j'y aurais déjà passé. Malgré la misère de ma situation, je trouve une façon de m'éblouir du paysage fantastique qui m'entoure. Il est vide de repère mais plein de jolies images. Là-bas la neige scintille comme empreinte d'une magie céleste. Un peu partout, le vent souffle et respire calmement. En face de moi, un arbre plié sous le poids de la neige se couche sur un deuxième qui me semble plus gros et plus solide. Il est pénible ce mal de tête.

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Jeandépose son chocolat chaud sur la petite table à sa droite. Sa femme est couchée sur son épaule et son souffle le réchauffe déjà bien assez. On parle hockey. Turgeon serra-il être échange? Qui va remporter les grands honneurs? Je vois bien que la conversation est factice et qu'il s'en sert pour éviter de parler de son projet littéraire. On ramasse des turbulences au passage et, résultat, son chocolat chaud va se renverser à quelques centimètres de sa jambe. Il sacre, agacé. Sa femme ouvre l'œil et soupire. Elle se rendort quelques minutes plus tard alors que moi et Jean on se perd dans un silence obligé.

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Je crois que j'ai dût tourner en rond un bon moment parce que je vois à l'horizon une image familière. De la fumée noir s'échappe des arbres au loin, amenant avec elle une odeur de souffre qui pique le nez. Je fais demi-tour et espère ne pas devoir faire face à cette affreuse vision à nouveau.

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Encore des turbulences. Jean peste contre le conducteur tout en sachant très bien que ça ne fera pas disparaître les vrombissements anormaux de l'avion. Le pilote lui fait un doigt d'honneur bien placé et Jean retourne s'asseoir, n'oubliant pas de lancer un ou deux autre « calis » et « siboire ». Sa femme regarde par le hublot du petit avion, l'attitude de Jean l'agace. Mais bon, ce n'est pas la première fois qu'il explose pour un rien. Jean se tourne vers-moi, fait comme si de rien n'était et on parle cinéma. Je lui rappel que son dernier film a récemment gagné tel et tel prix prestigieux. Il s'en fou un peu et change vite de sujet. Jean n'aime pas parler de ses films. Après tout, ce ne sont que des foutus films, répète-il souvent. Sans avertir, je me prends la tête entre les mains et grince des dents. Jean s'inquiète et sa femme aussi. Je leur fais les rassure en leur disant de ne pas s'en faire, que ce n'est qu'un mal de tête et que ça va passer. Maudit que ça fait mal.

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Je me suis encore perdu. En fait, quand j'y pense, je ne peux pas dire que je ne me sois jamais retrouvé. Maudit que ça fait mal.

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Ça fait un bon moment qu'on n'a pas subit les caprices de turbulences ou de courants descendants et ça paraît. Le temps est propice aux éclats de rires complices et aux confidences. Maude et moi on parle vie de famille, boulot et quotidien avec entrain. Jean, lui, se tourne les pouces. Il est ailleurs, perdu quelque part dans sa tête. Il soupire et se risque à dire ce qui le tracasse.

« Je sais pas la fin. »

Moi et Maude on se redresse, surpris.

« Je sais pas comment je vais finir cette histoire. »

Jean qui ne sait pas comment va finir son prochain film? Impossible! Lui qui est pourtant si habile à faire de l'ordre dans son imaginaire débridé, il ne sait même pas comment va finir son histoire. Je suis surpris, tellement surpris que je ne remarque même pas que l'air se fait écrasant et qu'on perd de l'altitude.

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Ma tête me tue et j'avance péniblement. Elle fait mal et je crois apercevoir du sang qui coule de ma tempe. La sortie? Où est la sortie! Où est-ce que je m'en vais? Est-ce que je sais au moins comment sortir d'ici, comment mettre fin à ce mal de tête? Il y a du rouge sur la neige. Je ne pense plus, je ne fais que marcher en zigzag comme un ivrogne. Plus
qu'une chose en tête : l'histoire.

Elle vit en moi Jean, elle me garde en vie et me tue tout en même temps. Je la sens se conjuguer au sang qui coule de ma tempe. L'être qui s'est perdu ne s'est toujours pas retrouvé, Jean. Ma tête déborde, je crois que vais me coucher en dessous d'un arbre et attendre. Attendre quoi? Attendre la fin de l'histoire.