Chapitre 6
Nuit du premier jour
Il ne me fallut que quelques heures pour gagner le Bourg. Quatre toute au plus. Cette région d’Harën constituait principalement de vastes champs jaunâtres, le soleil étant légèrement plus fort ici. Le Bourg était la capitale de la région d’Harën et avec raison. Ses rues en pavés, son palais, son énorme marché, son système d’aqueduc, le Bourg de Milibi était la ville la plus développée du coin. On y trouvait des auberges trois étoiles et des marchandises assez rare. Sa proximité avec le lac Apâ et ses rivières rendaient la distribution d’épice et de nourriture extérieure plus aisée (mais pas moins cher pour autant).
Mon plan était simple : Me procurer de nouveaux vêtements et dormir à l’auberge. Je regarde donc le Bourg, à distance, du haut d’une colline, puis sous le soleil orangé j’entreprends ma route. Les couleurs chaudes environnantes laissent place aux couleurs froides de la nuit. Les fenêtres des diverses maisons s’illuminent. De la fumée s’échappe des centaines de cheminés du Bourg. La garde commence sa patrouille nocturne. Maintenant que j’étais sur les lieux, une soudaine envie de goûter à la Bière au miel de l’auberge des Trois Pattes devenait plus pressante. Cela faisait des lunes que je n’avais pas mises les pieds ici.
J’ouvre donc la lourde porte en bois de l’auberge d’où s’échappait une ambiance festive. L’endroit était plein à craquer. Des tables en bois pleines de verre d’alcool, des gens qui chantaient, hurlaient. Au fond, une scène avec un piano et une femme séduisante qui nous chantait un air. Sa longue robe rouge en soie reflétait la moindre source lumineuse de la taverne. Ses longs cheveux orangés venaient masquer une partie de son visage, lui donnant un air à la fois mystérieux et envoutant. J’étais moi-même stupéfait d’accorder autant d’attention à cette femme de joie.
Mon attention fut rompue quand nos regards se croisèrent. Pendant un instant, j’eus l’impression qu’elle avait senti mon regard… Mais je fus rassuré en voyant qu’elle était assise sur les cuisses d’un autre client à glisser son index sur son corps. Une rose avec des épines dans l’art de l’être, on se fait désirer, mais si on tente quelque chose, on se pique et on se blesse. Je portai donc mon attention sur le tavernier.
- Une de vos Bières au miel et une chambre, demandai-je alors.
Tout ça pour une poignée d’or. Je me laissai donc bercer par l’ambiance avec mon alcool au bar. Afin de m’occuper, je sortis une carte de la région pour l’étudier, prévoir le temps nécessaire au voyage.
Une main délicate se pose sur mon épaule et glisse le long de mon dos. J’ai un soudain frisson. Une voix mielleuse murmure à mon oreille.
- Voilà un visage qu’on ne voit pas tous les jours.
C’était la catin.
- Je vous sens… Crispé. Il faut se détendre, poursuivit-elle.
Nerveux, le cœur battant, je pris donc une grosse gorgée de ma bière pour éviter de répondre. Elle continuait de me masser. Je déposai quelques pièces en échange d’une autre bière que je callai alors qu’elle me murmurait des mots doux dans les oreilles. Je fus soudainement claqué d’une soudaine fatigue. Tout était flou, j’avais l’impression d’être dans un rêve. Je me retourne vers la charmante et ô combien attirante demoiselle. Elle s’installe sur mes cuisses, les deux bras autour de mon cou.
- Elle ne survivra pas.
Je fronce les sourcils à ces mots. La femme se redresse soudainement, écartée par une main imposante. J’entends une dispute, mais je n’y comprends rien. Je me lève… La vie est soudainement magnifique et tellement simple! Je titube à travers les gens vers un coin confortable, mon meilleur choix étant l’escalier… La courtisane m’y rejoint pour déposer un baiser dans mon cou. Je glisse mes mains sur sa taille et… je m’endors carrément.
Chapitre 7
Matin du deuxième jour
Une claque à la figure. Ça pique, c’est froid, c’est soudain, je déteste. Je suis trempé.
- Ça va l’ami?
Je reconnais la voix du tavernier… J’ai un soudain mal de tête. Je tousse. L’idiot m’a aspergé d’eau.
- C’est le matin, alors debout.
Je grommelle, je me masse les tempes, puis j’ouvre les yeux. L’endroit était vide. Le tavernier, le tablier blanc à la taille, le chandail vert sale, son épaisse moustache et son air sympathique, se dressait devant moi, les mains sur les hanches.
- Que s’est-il passé?, demandai-je.
- Notre valkyrie maison t’a séduite. Tu as perdu le contrôle de tes sens. C’est normal, mais il faut se montrer prudent.
- Valkyrie?
- Oui le genre de femme éternellement belle qui lâche un aura hypnotiseur sur la gente masculine… Elle n’est pas méchante, mais elle
abuse parfois de son charme. Maintenant debout loque humaine. Comme t’a payé pour une chambre, mais que tu ne l’as pas utilisée,
je t’offre un Verre de Lendemain, ça ne fera pas disparaître ta migraine, mais ce sera moins douloureux.
Il m’aide à me lever. Je traîne les pieds vers le bar et sans attendre, j’avale le contenu du verre. C’est instantanée, la douleur diminue, mais pas totalement… Assez pour que je fasse mes courses sans mourir de douleur.
Les rues débordaient de gens, de toutes les couleurs, espèces, type, nationalités. Mon premier arrêt sera les vêtements. Je ne suis pas habillé pour voyager et je suis couvert de boue séchée. Je me dirigeai donc vers le kiosque à vêtements. Un ensemble de voyage attira mon attention et il n’était pas cher.
Il comprenait un gilet beige et un long pantalon chaud de couleur crème. Une tunique verdâtre et une ceinture en cuir accompagnaient le tout pour les temps plus froids. Une bonne paire de bottes chaudes et des gants en cuir combla le tout.
On me bouscule.
Je regarde autour de moi, alerte. Je tâte ma taille… Ma bourse! On m’a volé mon or! Je fronce les sourcils et je regarde à travers les gens. Une femme, deux tresses rouges, une tuque sur la tête, courant à travers les gens, comme pressée. Je pars à ses trousses.
Je tasse sèchement les gens sur mon passage. Je trébuche, je me relève, j’évite deux travailleurs transportant une longue échelle. J’enfile dans la ruelle à ma droite. Je saute sur une caisse, puis j’enjambe la clôture de bois. J’atterris dans la cour d’une maison, surprenant deux vieilles dames qui prennent le thé. Je contourne leur terrasse puis je pousse la porte de bois qui me fait déboucher sur la rue voisine. Je sonde les lieux : La rousse brigande grimpe une échelle sur les côtés d’une maison… Et fait tomber l’échelle. Je la suis depuis en bas. Elle saute sur le bâtiment voisin, trébuche, puis boite… Elle s’est blessée, coup de chance. Je décide de la dépasser et je gagne le prochain bâtiment. Je me cache dans la foule… Je la sens me chercher du regard, puis elle se laisse tomber du toit du bâtiment dans une ruelle…
Les yeux écarquillés, je m’empresse de gagner ladite ruelle… Un tas de foin. Je suis les brindilles… Elle est en train de cogner contre une porte en bois. La porte s’ouvre, un grand homme me regarde.
La respiration haletante, le dos en compote, je n’avais plus l’âge pour ce genre d’activité. L’homme grand, mince, vêtu d’un long manteau violet en satin, un homme riche sans doute, me fixe de ses yeux noisette. Les cheveux attachés à l’arrière, une fine moustache reposait à la base de son long et mince nez.
- Oui sieur?, demande-t-il.
Je tente de trouver le souffle pour parler.
- Cette… Femme… Mon or. Volé.
L’homme pose son regard sur la jeune femme.
- Est-ce vrai Amylia?
La femme se retourne vers moi. Je peux enfin l’identifier. Les yeux noisette, comme l’homme (qui devait sans doute être son père), des
taches de rousseur sur son nez et ses joues, elle était vêtue d’un vieux gilet blanc couvert d’un manteau vert olive. Un pantalon simple plié et remonté jusqu’aux tibias accompagnait l’ensemble. La femme avait les cheveux roux attachés en deux tresses. Elle soupir.
- Oui père.
- Rends-lui son or. Je t’ai dit de t’en prendre aux gardes seulement.
Je fronce les sourcils à ces mots. Amylia s’avance vers moi et me rend ma bourse d’or.
- Vous me voyez terriblement désolé, commence son père. Est-ce que nous pouvons faire quelque chose pour vous aider en échange
de votre silence?
J’avais bien une demande, mais il était évident qu’il ne pouvait la combler. Enfin, qui ne tente rien n’a rien.
- J’ai bien quelque chose… Ma femme est mourante, elle est enceinte, je dois gagner Amendür pour quérir du…
Soudain blanc de mémoire. J’enfonce ma main dans ma poche puis je sors un bout de papier.
- … Quérir une potion de « Laetrus »… Pour la sauver elle ainsi que le bébé.
L’homme me regarde, stupéfait, comme incrédule.
- C’est une blague?, me lance-t-il d’un ton hautain.
Je fronce les sourcils, confus.
- Sieur, regardez les agissements de ma fille, regardez où nous vivons. Nous ne pouvons rester au même endroit plus de trois jours pour des raisons qui nous dépassent et que vous ne comprendriez point. Amendür fut une de nos destinations, en l’occurrence nous venons de là. J’ai côtoyé sur ma route assez d’alchimiste et guérisseurs pour avoir une connaissance assez solide en la matière sans en être un expert et je n’ai jamais entendu parler d’une potion de « Laetrus ». Il n’existe pas de telle potion. Il n’existe pas de potions pour les accouchements.
Incrédule, je bats des paupières.
- Vous n’auriez peut-être pas dû quitter votre femme durant ses derniers instants.
Je recule de quelques pas en secouant la tête. On changeait de plan, de terrain et de jeu.
Chapitre 8
On change de jeu
C’était le crépuscule. J’étais aux limites du Bourg Milibi. Je regarde les deux chevaux. Amylia les caresse.
- Depuis combien de temps fuyez-vous?, demandai-je.
Elle ne me regarde pas.
- Six ans.
Elle se retourne enfin vers moi avec son air hautain ou juste désintéressée.
- Écoutez, mon père s’est senti obligé de vous rendre ce service, après on disparaît. Nous ne sommes pas des malfrats, mais nous ne
sommes pas non plus des anges. Donc contentez-vous de la boucler et de profiter du voyage ou d’angoisser sur le sort de votre
pathétique femme. Compris?
Elle me tourne le dos et embarque dans la caravane. Son père, Lorenzio, nous rejoint.
- Link, le voyage en caravane devrait nous prendre une sixaine d’heures. Nous ne ferons que très peu de pause, donc installez-vous
confortablement. Nous allons vous déposer à Harenbor et nous, nous allons continuer en Florensia, au Sud.
J’acquiesce en silence et j’embarque dans la caravane, le cœur haletant, nerveux du sort de ma femme. La caravane contenait tous leurs effets. Je tentai de me trouver un coin et j’optai pour le tapis enroulé au coin, à travers les meubles. Amylia lisait un livre assise sur une table. La caravane se met en route.
Je me laisse bercer par les mouvements de la caravane…
* * *
Une bosse sur la route me réveille. Amylia était encore dans la lecture de son livre. Je me lève lentement… Puis je regarde à l’extérieur.
- Nous allons devoir faire un détour!, lance Lorenzio, les routes entre Milibi et Irmedia sont surveillées par la Garde Royale. Nous allons
longer les Plateaux de Nisip, contourner la forêt et aller directement vers Harenbor.
J’acquiesce, puis je pose mon regard sur Amylia.
- Pourquoi êtes-vous en fuite exactement?, demandai-je.
Elle ne quitte pas son livre du regard.
- Pour des raisons qui nous dépassent, mon père te l’a dit.
- Mais encore…?
Elle soupir, dépose son livre, puis daigne enfin de déposer son regard sur moi… Un regard noir toutefois.
- Écoute désolé, tu n’es pas obligée de répondre, tentai-je.
- Si ça n’avait été de toi, nous ne serions pas forcés de fuir au Sud.
- Si tu ne m’avais pas volé mon or tu veux dire?, rétorquai-je.
- Tu ne sais pas ce que nous avons traversés!, hurla-t-elle.
- Justement, je demande!
- HÉHO! Du calme!, ordonna Lorenzio.
Je pousse un profond soupir. Je frotte ma nuque. Le voyage s’annonçait long. Je m’avance vers le bord de la caravane pour regarder au
loin. Le soleil disparaissait derrière les Plateaux de Nisip… Et de grosses structures étranges.
- Qu’est-ce?, demandai-je.
Amylia s’avance doucement.
- Tu ne connais pas?, me demande-t-elle.
- Je ne suis jamais passé par ici.
Je pose mon regard de nouveau sur l’horizon. Les structures devaient sans doute faire cinq cent mètres de haut, c’étaient des tours en
pierre? Ou sinon en métal… Très hautes et très minces. Ce qui rendait leur style unique était le fait que la tour était fragmentée en plusieurs morceaux différents liés entre eux par des embranchements minces… Comme si ces structures contraient la gravité même. Les tours étaient couverts de gravures diverses. Les tours étaient surtout géométriques, aucune courbe, surtout très carrée. Amylia prend la parole.
- On dit que ces tours nous connectent avec les divinités et qu’elles ont été forgées par leur propre main, comme une sorte de catalyseur tu comprends? Mais ces tours sont en ruines, c’est surtout beau… Ou étrange… À regarder je suppose. On compte trois tours, chacune avec des symboles, une forme et une taille différente. Ce n’est pas de l’Hylien en tout cas.
Hyrule comprenait beaucoup de légendes du même genre, comme l’origine d’Amendür ou l’esprit d’Harën. Je vois trois points lumineux.
- Les tours sont surveillées?, demandai-je.
- Non… Elles sont désertes.
Les points se rapprochent… Ce sont des torches.
- PAPA! LA GARDE ROYALE!, hurla Amylia.
Elle me lance un arc et des flèches. Elle agrippe la sienne.
- Vous savez tirer?, me demande-t-elle.
- N… Non?
- Alors vous allez apprendre, lance-t-elle en préparant son carquois.
- Il n’est pas question que je sois impliqué dans votre histoire et que je tue des gardes.
- Vous voulez vous rendre à Harenbor oui ou non?! Si moi et mon père sommes arrêtés, la caravane sera saisie!
Je serre les dents, puis je tente de décocher une flèche… Qui rebondit et tombe au sol. Je lève la tête vers les points lumineux, je
comptais une vingtaine de gardes. Elle décoche une flèche et touche une cible du premier coup… Je faisais piètre allure à côté du talent de la jeune femme en archerie.
Les points se rapprochent. Je tente de nouveau, je rate.
- Merde à cette vitesse nous n’y arriverons pas!, lança-t-elle à bout de nerf.
- Accrochez-vous! Je tente un autre chemin!, lâche Lorenzio.
La caravane roule sur une bosse. Je trébuche et tombe sur les fesses. Amylia reste bien debout à décocher des flèches. La caravane
descend une pente, je m’accroche aux parois de celle-ci. J’entends une pluie de flèche s’écraser contre la structure de bois.
- Des flèches de feu, hurle Amylia.
Elle regarde autour, comme soudainement nerveuse, puis je me fixe.
- Toi! Tu es une merde en archerie alors rends-toi un minimum utile et éteins le feu!
J’agrippe une couverture, puis je viens étouffer le début d’incendie dans le fond droit de la caravane. Un autre incendie démarre à
gauche, je viens le piétiner de ma botte. La caravane roule sur une autre bosse. J’entends un truc se casser dans une des diverses caisses… Une autre flamme apparaît, j’agrippe le tapis et je viens le pousser contre la flamme pour l’étouffer. C’est un succès.
- Nous y sommes presque!, lâche Lorenzio.
Je tourne la tête vers Amylia.
- Combien en reste-t-il!?, demandai-je.
- Plus que cinq! Je crois peut-être arriver à les faire battre en retraite.
Finalement, la caravane s’arrête brusquement. Les Gardes Royaux nous dépassent, puis disparaissent dans la nuit… Je reconnaissais
l’endroit. Nous étions tout près d’Harenbor. Je débarque in extremis.
- Merci pour tout, lançai-je, je devrais m’en sortir à partir de maintenant!
- Papa ne tarde pas! Fonce!, insista Amylia.
- Bonne chance mon ami, lâcha Lorenzio avant de reprendre la route à la hâte.
Je souffle un bon coup, puis je cours, j’enjambe une buche, puis je passe sous des branches. Harenbor était calme… Pourtant il était
encore tôt. J’aperçus ma maison au loin. Je m’y précipite sans attendre. Je grimpe par-dessus ma clôture de bois, puis je gagne la porte arrière de ma maison. Je l’ouvre.
- Anna!? Père Patrick!?
Je m’avance à la hâte vers la chambre. Mon cerveau prend un certain temps à analyser la situation. Le lit est défait et taché de sang. Des verres cassés, des chaises renversées. Il y a eu une bagarre ici… Mais aucune trace d’Anna. Aucune trace de Père Patrick. Je quitte la maison en traînant les pieds, mentalement absent. Il n’y avait plus personne dans le village… Le silence était angoissant.
Je me laisse tomber à genoux, le cœur lourd, vidé de toute énergie. Je sens les larmes monter à mes yeux, ma gorge se nouer. Je suffoque. Mes mains se crispent dans l’herbe. Puis je pleure. Ma femme, mon enfant… Le village… Que s’est-il passé?