Je marche. Je ne sais pas où je vais, je ne sais pas ce que je désir, mais je marche, depuis des jours, depuis des semaines, depuis des mois.
Le nez rougi par le froid, le ciel nuageux, le silence rompu par une légère brise nocturne et le son de la neige écrasée à chaque pas, j'avançais. Au fond de moi, je savais ce que je voulais, seulement je refusais de me l'avouer, ce qui amenait en moi une sorte d'inquiétude, une peur de la découverte. Je laissais mes pas me guider, je ne contrôlais rien. Je regarde à gauche, puis à droite. Le même décors depuis le début, des arbres, de la neige, des arbres...
Mes pas s'arrêtent et mon regard glisse sur mes mains vides, une chose que je devrai m'habituer à voir. J'entends au loin, au-delà de la forêt, les chants et l'harmonie du temps des fêtes. Pourquoi suis-je donc ici alors qu'eux s'amusent là-bas? Je referme un peu plus mon manteau, puis je reprends la route...
... Geste soudainement interrompu: On tire sur un pan de mon pantalon. Je baisse le regard et j'y vois une enfant. Les sourcils froncés de perplexités, je baisse un peu mon foulard.
- Que fais-tu ici, enfant?
La petite fille gambade jusqu'à une buche et s'y installe. Elle retire la neige à côté d'elle et m'attend. Je la rejoins, toujours incertain. Dans ses mains, elle tenait un album photo qu'elle ouvre.
- Ça c'est ma maman quand j'avais sept ans. C'était à mon anniversaire.
J'acquiesce doucement. L'enfant tourne la page.
- Et ça c'est au mariage de mon oncle, ma maman m'avait acheté une belle robe.
Mon regard alternait entre l'enfant et son damné livre. Elle me montrait page par page ses photos de familles inutiles, que ce soit lors d'une soirée d'halloween, lors d'une fête d'anniversaire ou autres éléments aléatoires de sa vie. Après un moment, l'enfant s'interrompt. Sorti de mes propres pensées, je pose mon regard sur son livre: La page est vierge, la suivante aussi, celle d'après aussi. Je sens la respiration de la petite fillette accélérer. Je pose, par instinct, ma main sur sa tête.
- Pourquoi c'est vide?, me dit-elle. Pourquoi est-ce qu'il n'y a plus de photos?
J'hausse les épaules: Je ne détenais pas la réponse. Les yeux de l'enfant s'humidifient, elle tremble de tout son corps. Je prends donc délicatement son album photo de ses mains puis je regarde à mon tour: Sur les pages vierges, il y avait le nom des choses exposées sur la page, un voyage en famille, première baignade de l'année... Mais en effet, aucune photo n'était présente.
- Ils m'ont oublié?, me demande-t-elle.
Je secoue la tête puis de ma voix rauque, je lui réponds.
- Ils ne t'ont pas oublié, ils t'ont juste perdu de vue... À toi d'être présente.
Les sanglots de l'enfant diminuent, avais-je réussi à apaiser son esprit? Ses yeux bleus se posent dans les miens.
- Et toi... Ton album il contient quoi?
- Mon album est vide, dis-je sur un ton monotone.
L'enfant angle la tête, les lèvres pincées. Elle se rapproche un peu plus de moi.
- Et pourquoi?
- Je n'aime pas les photos, ça ramène à la vie ce qui ne doit être qu'un bon souvenir sans plus. Ce qui s'oublie doit le rester.
L'enfant se lève lentement puis me tend la main. Je la prends doucement, sa main est glaciale et fragile, puis je me lève.
- Je ne t'en veux pas tu sais, me lance-t-elle avec un joli sourire.
Mon coeur fait un bond, je secoue légèrement la tête avant de fixer droit dans les yeux l'enfant. Elle continue.
- Tu n'es pas méchant, tu as juste fait une erreur.
Frappé par cette soudaine et imprévisible maturité, je me contente de reprendre lentement la route, la main de la petite fille dans la mienne.
- J'aimerais marcher longtemps avec vous, mais je vais retrouver ma famille, ils vont s'inquiéter sinon... C'est le temps des fête, ce n'est pas une période pour être triste et culpabiliser... Tu devrais faire pareil! Tu as peut-être fait un erreur il y a un an, mais à cette période de l'année, on apprend à pardonner et à accepter. Remplis ton album, même si tu n'es pas sur les photos.
J'acquiesce doucement. Sur ces mots, l'enfant délaisse ma main et disparaît entre les branches des arbres. Je regarde finalement derrière moi. Je pouvais voir mon trajet effectué dans la neige... Des traces de pas, les miennes, seules pendant des mois, puis ceux de moi et cet enfant à plusieurs reprises et finalement retour à uniquement les miennes.
Au loin, une pancarte. Je m'en approche: À gauche, la ville, à droite, la forêt... Étais-je prêt à retourner auprès des miens ou ils m'en veulent encore?
Je regarde mes mains, toujours vides... Vide d'alcool. Je regarde ensuite l'endroit où l'enfant est entrée dans la forêt, puis je regarde de nouveau les pancartes en bois. Je referme un peu plus mon manteau et je reprends la route, mon choix étant fait.
Bip, bip, bip, bip, bip, biiiiiip....
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